29 jun 2010

À l'intérieur de l'île de Cuba

Désireux de réserver les explorations peu fatigantes des villes pour les derniers moments de mon séjour dans l'Île, je décidai de partir dès le lendemain pour l'intérieur et terminai ma premiére journée par une visite au fort du Morro qui dresse sa masse énorme de l'autre côté de l'entrée de la rade. Une caravelle hautement matée me conduisit à la célebre forteresse, dont les douze canons portent les noms des apôtres et proclament ainsi l'étrange façon dont on comprend l'esprit de l'Evangile sur les bords du Tage et du Guadalquivir. (Segunda parte del reportaje hecho en 1886 por la francesa Gervessis Mallisot)

Ma soirée s'écoula au théâtre, un bien drôle de bâtiment, qui ne ressemble en rien à ceux ou nous avons coutume d'entendre la musique, la tragédie ou le vaudeville. A cause de la température élevée, il n'y a qu'une carcasse de théàtre pour les spectateurs; et pas de murs, ou, du moins, les murs ne sont constitués que par une juxtaposition de larges volets et de stores. De sorte que des loges on entend aussi bien et même beaucoup mieux les bruits de la rue que les tirades des acteurs. Il m'est même arrivé d'avoir un voisin qui soulevait constamment son volet pour se disputer, à trés haute voix, avec sa femme accoudée à une fenétre de la maison d'en face.

En me rendant à la gare, je remarquai une étrange habitude, observée dans toutes les maisons élégantes. C'était l'heure des visites et je vis que dans la pièce de réception, toujours sise au rez-de-chaussée, les fauteuils étaient alignés sur deux rangs, face à face, et perpendiculairement au mur. De cette maniére, les visiteurs peuvent causer comme on cause d'une banquette à  l'autre d'un wagon, et la vanité des maitres de maison se trouve satisfaite par la facilité avec laquelle les passants voient, à travers les fenétres trés larges, le nombre et la qualité de gens qu'on reçoit.

Les chemins de fer de Cuba ne marchent pas de la méme allure que l'Express-Orient ou la Malle des ludes. Ils ne franchissent pas, comme ces derniers, 92 kilométres à l'heure. Mais ce serait souvent dommage, car ils traversent des contrées si étonnantes avec leur végétation, qu'on voudrait à chaque instant faire halte. Palmiers, bananiers, aloés font assaut de coquetterie. Et pourtant cette profusion de branches et de feuilles émane d'un terrain peu épais!

Le sous-sol est formé de calcaires si torturés, que partout on y trouve des vides, cavernes ou tunnels. « Si nombreuses sont les galeries cachées, dit Elisée Reclus, que on a pu dire que l'Île tout entiére forme une immense voute, au-dessous de laquelle coulent des ruisseaux et séjournent des eaux dormantes. On a pénétré en de nombreuses grottes dont les labyrinthes explorés à des lieues de distance, ne sont pas encore connus jusqu'au fond, et chaque année on découvre de nouveaux souterrains. » Pour ma part, j'ai failli tomber dans un gouffre ou se précipitait un gros ruisseau trés clair. Comme je reculais, effrayé, mon guide me cria :
« No habías temor ».

Et il se rapprocha pour m'expliquer que j'aurais été roulé dans le précipice sombre pendant un kilométre par les eaux souterraines, et que je serais ressorti au pied de la montagne, ou mon ruisseau devenait une source. Grand merci pour cette maniére de faire concurrence aux héros du Voyage au Centre de la Terre!

Ces pérégrinations me fatiguaient beaucoup plus vite que partout ailleurs, et je crois devoir l'attribuer à l'humidité de l'atmosphére si intense que jamais on n'a pu conserver des archives à Cuba.

Un soir, je rentrai d'une longue promenade dans les environs de Matansas, et je n'étais pas installé depuis quelques minutes chez mon hôte, — un pauvre Indien — que la cabane se souleva et partit à travers la forêt, nous laissant à la belle étoile et tout stupéfaits. C'était un ouragan. Le vent souflait avec une violence telle que le sol en tremblait. Nous manquàmes étre écrasés par les arbres jetés à terre par la tempète, et nous fûmes très heureux de trouver, à quelques pàs de là, une de ces nombreuses anfractuosités du sol dont j'ai parlé tout à 1'heure.

Et pourtant ce n'était ríen en comparaison de 1'ouragan de 1846 qui renversa 2,000 maisons à la Havane, coula 235 navires et en jeta un à 34 kilométres dans l'intérieur des terres. Il périt aussi beaucoup d'animaux sanvages. On sait qu'à Cuba, ceux-ci proviennent d'anciens animaux domestiques revenus a l'état nature. II en est du moins ainsi pour le potro et pour le cheval, ce dernier est en si grand nombre qu'on va rarement à pied dans l’île. Les dames affectent de prendre une voiture, rien que pour traverser une place. Je l'ai vu faire, sous mes propres yeux, à Santiago de Cuba, par une marchande de chàles.

Ce que je ne puis omettre de noter, c'est 1'extréme courtoisie et la franche hospitalité avec  laquelle je fus accueilli partout, dans les masures des faubourgs comme dans les palais officiels, dans les chaumières des paysans métis comme dans les haciendas luxueuses. Et cette parfaite similitude dans l'observance des lois de 1'hospitalité est vraiment surprenante dans un pays où les races sont si variées et si nombreuses. Des vrais Indiens originaires, il ne reste que quelques bribes cachées dans les montagnes.

On sait que les Espagnols les ont presque tous tués dans les 21 premiéres années de leur conquête. Le véritable Cubain d'aujourd'hui, le métis, n'aime pas 1'Espagnol et cherche à lui ressembler aussi peu que possible. Comme les élégantes accourues de Catalogne ou d'Andalousie portaient les cheveux longs, les épouses des Cubains se sont rasé la tête, ce qui leur a fait donner le surnom de « pelonas », pelées. Les négres importés naguére d'Afrique, constituent une forte partie de la population. Il faut citer aussi les Chinois, extrémement nombreux dans la premiére moitié du siécle, mais qui diminuent parce qu'ils sont arrivés en célibataires et ne se marient pas avec les indigénes. Ajoutez à ce peuple, déjà si varié, la foule des émigrants francais, américains, anglais, allemands et vous  aurez une vaste représentation de ce qui grouille au pied de la tour de Babel.

-L'un de mes plus agréables séjours chez les propriétaires cubains fut chez le grand colon Francisco Tinarés, tout prés d'une petite station entre Puesto Principe et San Fernando. Une majestueuse allée de palmiers, trés réguliérement espacés sur un double rang, conduisait à un groupe de maisonnettes aussi blanches que des mosquées et assez hautes malgré leur unique étage. Immédiatement derriére cette sorte de hameau qui abritait mon hôte, la famille, la domesticité et le bétail, venait un grand jardin ou du moins ce que je prenais pour tel. C'était le cafetal. On sait que le café croit à l'ombre, de sorte qu'il faut planter des arbres pour abriter les plantes. De préférence, on choisit des fruitiers afin d'augmenter les produits.

Mais aujourd'hui les Cubains se sont aperçus que leur île n'est pas assez voisine de l'Equateur pour se préter à, une exploitation sérieuse du café et ils ont un peu négligé la culture de cette plante toujours verte et toujours en fleurs.

Une caravane de chevaux chargés d'herbes arrivaient à la ferme de Tinarés, en même temps que moi. Les quadrupédes disparaissaient au milieu de leur charge. « Ils apportent, me dit mon hôte, notre principal produit, la canne à sucre. » A la place des gracieux bosquets des cafetals où les colons aimaient à. passer les heures chaudes, s'étend maintenant le champ de canne à, sucre, l' « ingenio », avec sa désolante monotonie. Aussi les riches planteurs ne résident-ils guère plus sur leurs terres. Ils habitent les grandes villes des Etats-Unis et chargent des gérants de veiller leurs intéréts.

«De tout cela, me disait mon hôte, il est résulté que les esclaves d'autrefois, devenus domestiques libres, sont beaucoup moins bien traités. Les gérants se montrent plus exigeants que les anciens maîtres, qui jouaient tout à la fois les rôles de père, de prétre, de médecin, etc.

Cela m'était dit il y a dix ans, quelques mois avant le décret qui a supprimé définitivement 1'esclavage. Je me méfie un peu de cette douceur des anciens maîtres, et je félicite les négres de n'en être plus I'objet. Quant a la révolte actuelle, il faut souhaiter qu'elle se termine bientôt, afin que cette île délicieuse puisse devenir le paradis terrestre de ses habitants au lieu d'en étre 1'enfer, comme en ce moment.


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Gervésis-Malissol

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